Les faits à l’origine de l’affaire Ayçaguer c. France
(Req. 8806/12) pourraient prêter à sourire s’ils ne révélaient pas un
exemple de plus de législations sécuritaires qui érodent lentement mais
sûrement les libertés individuelles. La Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH) qui en a été saisie en profite opportunément pour
rappeler, avec constance et clarté, la place éminente qu’occupe le droit
à la protection des données personnelles aujourd’hui. Elle formule ce
faisant, de façon réitérée, l’interdiction d’un fichage généralisé et
indifférencié des personnes, rappel plus que nécessaire semble t-il à
l’heure où de nombreuses lois antiterroristes, notamment, mettent en
danger partout en Europe ce nouveau droit fondamental.
Le requérant, Jean-Michel Ayçaguer, participait le 17 janvier 2008 à
un rassemblement organisé dans les Pyrénées atlantiques, par un syndicat
agricole basque. Dans un contexte politique difficile, une bousculade
s’ensuivit entre manifestants et forces de l’ordre. Le requérant, lors
d’une procédure de comparution immédiate le 13 mars 2008 devant le
tribunal correctionnel de Bayonne, fut condamné à deux mois
d’emprisonnement avec sursis pour avoir donné des coups de parapluie aux
gendarmes, sans entraîner d’incapacité de travail chez ces derniers
(qui n’ont même pas été identifiés), ce qui fut analysé comme violences
sur personnes dépositaires de l’autorité publique avec usage ou menace
d’une arme, en l’occurrence le susdit parapluie…Convoqué le 24 décembre
2008, à la demande du Parquet de Bayonne, afin d’effectuer un
prélèvement ADN aux fins de conservation dans le fichier FNAEG, sur la
base des articles 706-55 et 706-56 du code de procédure pénale (CPP), le
requérant, refusant de se soumettre à ce prélèvement, fut alors
convoqué puis condamné par le tribunal de grande instance de Bayonne le
27 octobre 2009 à une amende de cinq cents euros. Ce jugement fut
confirmé par la Cour d’Appel de Pau le 3 février 2011 et le pourvoi en
cassation du requérant rejeté le 3 septembre 2011. Le requérant a alors
dénoncé devant la Cour EDH une atteinte à son droit au respect de la vie
privée, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en
raison de l’ordre reçu de se soumettre à un prélèvement biologique en
vue de son inscription au FNAEG, son refus d’obtempérer lui ayant valu
une condamnation pénale.
A l’heure où les nécessités sécuritaires, notamment de lutte contre
le terrorisme, poussent les Etats européens à se doter d’arsenaux
législatifs liberticides, s’appuyant pour bon nombre d’entre eux sur des
fichages d’ampleur de délinquants, réels ou supposés, la Cour EDH vient
rappeler une fois encore l’indispensable respect du droit fondamental à
la protection des données à caractère personnel. Si cette dernière est
nécessairement mise en balance avec les exigences de la sécurité
publique, cet équilibre reste toutefois sous le contrôle du juge (I).
Celui-ci réaffirme ainsi ici, et avec à propos, sa jurisprudence
antérieure, interdisant le fichage généralisé et indifférencié (II).
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